Article rédigé par Giacomo Mazzucchelli
Il y aura des faillites et des licenciements dans les mois qui viennent.[1] Avec ces mots, le ministre de l’Économie française anticipait en mai dernier ce que beaucoup d’entre nous soupçonnaient et craignaient : la crise n’est et ne sera pas uniquement sanitaire. Des grands groupes jusqu’aux PME, les médias diffusent depuis plusieurs semaines des récits de sociétés et entreprises en difficulté financière, et d’autres qui ont su au contraire se réinventer et adapter leur business durant ces derniers mois. Si de telles histoires commencent à nous être familières, nous continuons cependant à savoir peu sur le sort et de la situation des startups en France. Cet article tentera d’en cerner certains enjeux, pour comprendre comment l’écosystème français des startups a réagi à la crise.
L’écosystème des startups français
Quelques chiffres-clés tout d’abord. Contrairement à certains secteurs et marchés qui se trouvaient en difficulté déjà avant la crise, l’écosystème des startups françaises était en pleine croissance. À la fin de l’année 2018, on comptait en effet en France plus de 10 000 startups, avec un taux d’augmentation important depuis plusieurs années.[2] Premier pays européen par création annuelle d’entreprises, la France est aussi sur le podium européen, après l’Allemagne et le Royaume-Uni, pour les investissements dans le secteur – les trois États totalisant en 2018 plus de 15 389 M€ d’investissements, ce qui représente environ 65 % du total dans le vieux continent. Dans la même année, la somme des chiffres d’affaires des startups françaises atteignait 5,3 milliards d’euros, avec une progression de 33 % par rapport à 2017.[3] Si le mouvement de la French Tech, lancé par le gouvernement français il y a 7 ans, s’est largement développé dans les dernières années, des choses restent cependant à faire. Malgré une dynamique et une tendance générale plutôt positive, la France se place en effet très loin derrière les États-Unis et la Chine – les 2 plus grandes startup nations – et ne compte à l’état actuel que 6 licornes[4] : Criteo, BlaBlaCar, Vente-Privée.com, OVH, Talend et Deezer. Ces quelques chiffres montrent ainsi que si la France est incontestablement une startup nation au niveau européen, son écosystème doit encore davantage s’affirmer à l’international. La crise actuelle a contribué à complexifier ces aspects, obligeant les startups à rebondir efficacement devant les nouvelles réalités.
Les startups françaises et la crise
Comme mentionné auparavant, peu d’études se sont pour l’instant intéressées aux conséquences de la pandémie de COVID-19 sur l’univers des startups français.[5]
Au risque de dire une lapalissade, il est rare de trouver des entreprises ou des secteurs n’ayant pas été négativement affectés par le contexte de crise globale. Cela s’avère d’autant plus vrai pour des entreprises, telles que les startups, qui dépendent largement du financement par les tiers et sont rarement rentables durant leurs premières années de vie.
Ainsi, et en dépit des diverses mesures étatiques d’aide au secteur[6], nombreuses sont les jeunes pousses qui ont dû et doivent faire face à une baisse de chiffre d’affaires et à des problèmes de trésorerie : jusqu’à 80 % des startups françaises s’estiment frappées négativement par la crise et environ un tiers d’entre elles se sentent menacées pour leur survie.[7]
Leur dépendance financière vis-à-vis d’autres acteurs du marché (banques d’investissement et BPI, business angels, grands groupes, sociétés de capital-risque, etc.) a en effet amplifié leurs faiblesses. À ce propos, la crise a contribué à freiner brusquement plusieurs projets de développement, commercialisation et partenariats. Les chiffres à cet égard sont emblématiques : d’après l’étude David avec Goliath, 70 % des alliances entre startups et grands groupes en phase de prospection commerciales ont été décalées ou stoppées et celles déjà établies souffrent également d’un ralentissement.[8]
Si le cadre global de l’écosystème startup est plutôt négatif, la crise de COVID-19 a en revanche représenté une opportunité pour quelques jeunes pousses. L’accélération du phénomène de digitalisation (avec la banalisation du télétravail) a en effet non seulement permis à certaines startups d’aider divers grands groupes partenaires à être plus réactifs et agiles, mais a aussi témoigné des fortes capacités d’adaptation et de la flexibilité de ces dernières face aux imprévus. Plus généralement, la crise constitue une occasion de focaliser les activités d’une entreprise sur l’essentiel. Prioriser les partenariats indispensables et les services à forte valeur ajoutée, retravailler sur l’offre commerciale et repenser aux projets de développement et modèles d’organisation : voici quelques leçons à tirer de la crise pour contribuer de façon importante au rebond de l’économie et à la reprise de la croissance et de la progression de la French Tech.
[1] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/bruno-le-maire-au-figaro-notre-objectif-est-la-souverainete-economique-de-la-france-20200521
[2] Entre l’année 2017 et 2018, on enregistre d’après l’INSEE une augmentation de 17% d’entreprises crées – y comprises micro-entreprises et sociétés.
[3] Voir https://medium.com/@AdrienChl/point-d%C3%A9tape-sur-l-%C3%A9cosyst%C3%A8me-startups-fran%C3%A7ais-en-2019-4c0defa4180
[4] Dans le monde des startups, le terme de licorne désigne les entreprises valorisées à plus de 1 milliard de dollars. On parle bien de valorisation, ce qui ne coïncide pas avec le chiffre d’affaires.
[5] L’étude David avec Goliath de RAISE et Bain & Company représente une exception à cet égard. Pour avoir accès à l’étude : https://www.davidavecgoliath.com/e-book/d/index.html?hybrid=1&from=https%3A%2F%2Fwww.davidavecgoliath.com%2Fe-book%2F#/page/0
[6] Pour une synthèse de ces mesures, voir : https://medium.com/@JoinLaFrenchTech/covid-19-le-top-des-5-questions-de-la-semaine-sur-les-mesures-de-soutien-aux-entreprises-1-973855326e4d
[7] Voir l’étude David avec Goliath de RAISE et Bain & Company.
[8] Ibidem.