Article rédigé par Esther Degnide
Depuis février 2020, la Covid-19 plonge l’économie mondiale dans une crise brutale et durable. Afin d’endiguer la propagation du virus, plusieurs pays ont adopté des mesures sanitaires drastiques aggravant le repli du PIB mondial. Si la grande majorité des secteurs de l’économie a été fragilisée, la pandémie a constitué un terreau de croissance idéal pour les géants américains de la Silicon Valley. Désignés par l’acronyme GAFAM, Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft ont accentué leur domination sur les cinq continents et continuent de performer au-delà des attentes.
Comment peut-on expliquer les résultats financiers records des Big Tech dans un contexte de crise économique ? Pourquoi sortent-ils renforcer de la pandémie de coronavirus ?
Alors que la Covid-19 fait apparaître des défis inédits auxquels doivent faire face les entreprises, certaines d’entre elles semblent tirer profit des différentes mesures de restriction. Entreprises stars américaines, les GAFA auxquelles on ajoute le M pour Microsoft, dominent le marché planétaire du numérique et de la transformation digitale. En octobre 2020, leur poids est tel qu’elles représentent la moitié de l’indice Nasdaq 100. Crée en janvier 1985, cet indice boursier mesure la performance des 100 plus grandes entreprises non financières cotées au Nasdaq, le deuxième marché d’actions le plus important des États-Unis. En 18 mois, la capitalisation boursière des cinq Big Tech a été multipliée par
deux et atteint désormais plus de 7 000 milliards de dollars. Ces mastodontes du web défient désormais les principaux États du globe : jamais leur poids dans les indices boursiers n’avait été aussi élevé. De plus, ces richissimes entreprises sont dotées d’une capacité de financement conséquente grâce à la vente d’espaces publicitaires sur des millions de sites Internet.
Ces chiffres exceptionnels sont expliqués à la fois par une baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale des États-Unis, l’essor des systèmes de réseaux mais surtout par l’importance des GAFAM dans le quotidien des individus lors de la pandémie.
L’offre GAFAM, indispensable en période de crise sanitaire
Le e-commerce, les outils collaboratifs facilitant le télétravail ou encore l’utilisation accrue des réseaux sociaux, la pandémie mondiale a mis en relief la dépendance du monde aux GAFAM. À travers les cinq continents, elles se sont révélées indispensables en fournissant des services essentiels à la poursuite de l’activité économique. Le 4 novembre 2020, la publication des résultats du troisième trimestre de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft vient corroborer ce constat. Elles affichent forte croissance et prospérité durant la pire crise de l’Histoire du XXIè siècle. Ces entreprises ont réalisé une hausse de leur chiffre d’affaires de près de 20% par rapport à la même période en 2019.
Amazon prend la première position du classement avec un chiffre d’affaires de près de 96 Milliards de dollars, soit une augmentation de 37% par rapport à l’an passé. L’entreprise de Jeff Bezos a su tirer profit de la pandémie pour accroître son leadership et dégager des bénéfices flamboyants grâce à la diversité de ses biens et services : denrées alimentaires, high-tech, culture, multimédia et autres. Selon le journal britannique The Guardian, le géant mondial de l’e-commerce a enregistré jusqu’à 11 000 dollars de ventes par seconde lors du pic de la crise en début d’année 2020. Durant cette même période, 14% des Français interrogés dans le cadre de l’étude de Digimind affirment n’avoir jamais autant acheté sur Amazon que pendant la crise sanitaire.
Les deux entreprises américaines Google et Microsoft ont également profité d’un effet d’aubaine grâce à la Covid-19. Elles ont offert la possibilité à des millions d’individus de travailler à distance et d’étudier par visioconférence grâce aux divers outils collaboratifs comme Skype et Teams, qui ont en moyenne multiplié par deux leur nombre d’utilisateurs quotidiens. À noter que Google Classroom, auparavant très peu connue, a été l’une des applications Google les plus téléchargée durant le mois de mars. Selon le Directeur Général de Microsoft, Satya Nadella, « Nous avons vu l’équivalent de deux années de transformation numérique en deux mois ». Les réseaux sociaux deviennent également des outils indispensables pour maintenir le lien social et le contact avec les proches. Facebook, la plateforme aux 2,5 milliards d’utilisateurs mensuels, a fait part d’une explosion du trafic sur ses plateformes WhatsApp,
Instagram ou encore Messenger avec une forte augmentation des échanges de messages vocaux.
Grand gagnant de l’épidémie, Apple enregistre une capitalisation boursière record de plus de 2 000 milliards de dollars au troisième trimestre 2020 : il s’agit de la première firme américaine à franchir ce seuil symbolique. Selon Tim Cook, PDG d’Apple, « ces résultats témoignent du rôle important que nos produits jouent dans la vie de nos clients et de l’innovation constante d’Apple […] en cette période d’incertitude ». L’entreprise américaine a vu le nombre de ses appareils installés et actifs atteindre des niveaux records. D’après le cabinet Counterpoint Research, l’Apple Watch Series 5 représente à elle seule près de la moitié des revenus mondiaux des montres connectées sur les deux premiers
trimestres de 2020.
Bien que chefs de file de l’embellie boursière de Wall Street, les cinq empires technologiques n’échappent pas aux critiques de leurs actions.
Un leadership contesté
Malgré des taux de croissance faramineux, l’hyperpuissance des GAFAM est de plus en plus contestée par les institutions européennes et américaines ainsi que par les organismes de régulation. Pour David Cicilline, député américain et membre du Comité Antitrust de la Chambre des Représentants des États-Unis, « Ces entreprises ont des pouvoirs de monopole. Cela doit cesser. Certaines doivent être démantelées, toutes doivent être régulées correctement ».
Sermonné pour intrusion massive dans la vie privée de leurs utilisateurs, gestion douteuse des données personnelles, stratégie d’évasion fiscale via des paradis fiscaux ou encore usage de pratiques anti-concurrence, les critiques concernant le royaume californien des GAFAM ne manquent pas.
En 2019, l’entreprise Google a été condamnée à payer une amende de 150 millions d’euros par l’Autorité de la Concurrence. Le géant du web s’est vu infliger cette lourde sanction en raison d’un abus de position dominante lié à son service de publicités visées, Google Ads. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) estime que la gestion des données personnelles des utilisateurs Google n’est pas respectée en raison d’un manque de transparence et d’une information insatisfaisante. Cette condamnation n’est pas sans rappeler l’amende de 2,42 milliards d’euros dont a écopé Google en 2017 pour des raisons similaires, un abus de position dominante concernant cette fois-ci son service de comparateur commercial, Google Shopping.
Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ne sont pas en reste puisqu’elles font également l’objet de plusieurs enquêtes pour potentielles violations de la législation antitrust et pratique d’optimisation fiscale amputant leurs recettes.
Afin d’introduire une régulation plus stricte dans ce monopole et l’astreindre à une fiscalité plus juste, les gouvernements tentent d’adopter les mesures nécessaires. Aux États-Unis, les appels au démantèlement des GAFAM se multiplient. Cette hypothèse prend désormais sa place dans les débats politiques aussi bien de gauche que de droite. À l’inverse, l’Europe semble se pencher sur la question fiscale. Projet de loi porté par l’OCDE, la taxe « GAFA » a pour objectif de favoriser l’équité dans le système fiscal des entreprises du numérique. Selon l’étude de l’institut Harris Interactive, près de 90% des Français semblent favorables à la mise en place d’une taxe sur les revenus des GAFA réalisant des bénéfices dans les pays européens. Cette proposition est donc fortement appréciée par la population française mais également par plusieurs États du globe qui ont mis en œuvre des lois visant à harmoniser la fiscalité des multinationales comme l’Australie ou encore le Royaume-Uni.
Cette mesure met en évidence une réelle volonté de changement et d’indépendance sur le marché du numérique et du web. Néanmoins, le projet de la « taxe GAFA » visant à limiter le dumping fiscal semble gelé par la crise sanitaire et l’hostilité du gouvernement américain. De plus, l’élection de Joe Biden, qui sera investi 46ème président américain en janvier 2021 va probablement remettre les cartes sur table concernant l’hypothèse de démantèlement de ces mastodontes américains.
Alors que le monde connaît la pire récession depuis le siècle dernier, l’immunité des GAFAM face à la crise ne cesse de surprendre. E-commerce, plateformes de divertissement et outils collaboratifs, la Covid-19 a converti les derniers réfractaires du numérique. L’accélération de la digitalisation et la révolution mobile entamé au cours de la dernière décennie ont grandement profité aux GAFAM qui affichent désormais des taux de croissance presque insolents. Toutefois, ces multinationales ne cessent de susciter les controverses à travers le monde. Érigé en surpuissance sur la scène internationale, ce monopole est de plus en plus menacé. Le projet de taxation et l’hypothèse de démantèlement sont des mesures essentielles recommandées par les institutions internationales afin de permettre aux entreprises du numérique de prospérer dans un marché libéral avec des règles de concurrence équitables favorisant compétitivité et attractivité. L’élection du nouveau locataire de la Maison Blanche en novembre 2020 relance le débat du contrôle de ces cinq empires de la technologie. Quelle sera la place des GAFAM dans l’administration de Joe Biden ?
Source : Le Monde, Les Échos, étude Digimind, étude Harris Interactive, rapport Oxfam