Article rédigé par Esther Degnide

A l’occasion du Forum Économique Mondial de Davos le 26 janvier 2021, Ursula von der Leyen – la présidente de la Commission Européenne – soulignait l’idée de mettre en place un pacte international afin de préserver la biodiversité. A l’image de l’Accord de Paris conclut en 2015, cet engagement aurait pour objectif de lutter contre le réchauffement climatique. Face à l’urgence écologique, l’Union européenne et les états membres accélèrent leur transition vers une économie moins carbonée. Vivement critiqués pour leur contribution à des activités polluantes, les acteurs majeurs de la finance entreprennent depuis peu de verdir leur portefeuille. La question de l’Investissement Social Responsable (ISR) dans le secteur financier trouve alors sa pertinence dans la préservation de l’environnement. Considéré comme un marché niche il y a encore quelques années, l’ISR se définit comme un mode d’investissement durable et équitable, qui tient compte des problématiques environnementales.

Quelle est la place de l’investissement socialement responsable sur les marchés financiers français ? Quelle place pour la finance verte dans une économie fragilisée par la crise sanitaire ?

Selon BloombergNEF, le financement de projets à caractère environnemental est en plein essor en 2020, atteignant plus de 730 milliards de dollars soit une augmentation de près de 30% par rapport à l’année dernière. Dans un contexte de crise sanitaire, l’appétit des investisseurs pour la finance verte a considérablement grandi. La finance verte correspond à l’ensemble des actions et opérations financières permettant de favoriser la transition énergétique et protéger l’environnement naturel. Elle s’inscrit dans le cadre d’investissement socialement responsable (ISR). Aujourd’hui, l’ISR s’impose de plus en plus sur les marchés financiers. En 2020, près de 508 fonds ont obtenu le Label ISR ce qui représente près de 200 milliards d’euros selon l’Association Française de la gestion financière. Créé en 2016 par le Ministère de l’Économie et des Finances, ce label français permet d’investir durablement en tenant compte des critères extra-financiers de type ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Il correspond aux critères environnementaux (E) qui s’intéressent à l’impact sur l’environnement (émissions de CO2, recyclage et réduction des émissions de gaz à effet de serre), des critères sociaux (S) qui étudient le respect du droit du travail (droit des employés, parité, qualité du dialogue social) et des critères de gouvernance (G) correspondant à la lutte contre la corruption et la transparence de la rémunération des dirigeants. Ainsi, un investisseur privilégiera un acteur ayant obtenu les meilleures notes résultats en matière de développement durable, d’implication sociale et de développement d’entreprise. Le label ISR est accordé par un organisme de certification pour une durée de 3 ans renouvelables. L’investissement socialement responsable est un des principaux leviers de la finance verte avec les green bonds.

Le green bond, nouvel outil de la finance verte

Les obligations vertes ou « green bonds » selon l’anglicisme, sont des emprunts obligataires classiques (non bancaires) permettant de financer des projets compatibles avec la transition énergétique et écologique : transports à faibles émissions des gaz à effet de serre, énergies renouvelables ou encore protection de la biodiversité. Apparus pour la première fois en 2007 en Europe, les obligations vertes représentent aujourd’hui moins de 5% du total des émissions obligataires mondiales selon une étude réalisée par HSBC.
Cependant, le marché des obligations vertes souffre d’un manque de transparence et d’une absence de cadrage. Il n’existe toujours aucune définition permettant de définir avec précision cet instrument financier. Ainsi, l’investisseur peut mesurer l’effet de son investissement en tonnes de CO2 évitées par exemple ou en quantité d’électricité verte produite. Afin de crédibiliser ces obligations vertes, les émetteurs de green bonds doivent publier annuellement un rapport même s’il n’existe toujours aucun standards définis par les régulateurs sur les processus de reporting. Durant l’année 2021, on estime que les volumes d’émission d’obligations vertes devraient s’élever à plus de 400 milliards de dollars. La France était d’ailleurs le premier pays émetteur de greens bonds au monde avec près de 15 milliards de dollars émis en 2019.

Les instruments de la finance verte : des instruments vraiment durables ?

L’engouement pour les obligations vertes est contrasté par les risques de greenwashing, une tendance marketing visant à se donner une image d’entreprise responsable et écologique mensongère, qui profite davantage aux banques et aux institutions qu’au climat. L’exemple de l’obligation verte de 2.5 milliards de dollars lancée par GDF Suez en mai 2014 illustre cette pratique d’éco blanchissement. Cette somme colossale – la plus importante opération d’obligation verte jamais émise par une entreprise française – avait pour objectif de financer des projets respectueux de l’environnement. Toutefois, les associations écologistes françaises ont très vite dénoncées ce green bond de greenwashing. En effet, le premier groupe industriel énergétique français est accusé d’avoir utilisé cette somme pharamineuse pour financer des projets hydroélectriques en Amazonie, comme le célèbre barrage de Jirau au Brésil. Ce scandale lui a d’ailleurs valu une nomination au Prix Pinocchio, qui met en lumière le greenwashing des multinationales. L’absence de cadre législatif international quant à la qualification « verte » de projets financés rend difficile l’harmonisation et la transparence des green bonds pour les investisseurs. Chaque émetteur de green bonds est libre de définir les attributs écologiques de ces investissements. En mai 2017, l’entreprise pétrolière Repsol émettait une obligation verte de 500 millions de dollars, certifié « Green bond ». A travers cette obligation, l’entreprise espagnole s’engageait à diminuer les émissions de CO2 de ses raffineries pour in fine, réduire son empreinte carbone. Nonobstant, si l’opération a été validée par Video – une agence de notation sociale et environnementale internationale –, le Climate Bond Initiative (CBI) a refusé d’inclure cette émission dans sa liste de Green Bonds labellisés. Même si les objectifs de l’obligation (réduction d’une tonne de CO2 jusqu’en 2020) sont en accord avec l’émission d’une obligation verte, le CBI – organisation à but non lucratif qui tente d’apporter des solutions face à l’urgence écologique – remet en cause la stratégie commerciale de Repsol qui n’est pas assez engagée verte.

A l’heure où les États souhaitent tirer profit de la crise de la Covid-19 pour reconstruire une économie mondiale moins carbonée et plus durable, les opérations financières liées au changement climatique et à la transition énergétique enregistrent des performances records. Les investisseurs sont de plus en plus soucieux de l’impact de leurs investissements sur l’environnement. Véritables outils au service de la protection de la planète, les Green bonds ont vu leur volume d’émission augmenté de façon significative ces dernières années. Néanmoins, les institutions internationales peinent à harmoniser leurs politiques à l’égard de ces instruments financiers. La tendance de greenwashing semble alors se confirmer dans les économies occidentales et pose la question du véritable objectif des obligations vertes. Il est donc urgent de standardiser les critères d’éligibilité des obligations afin de continuer à verdir le monde de la finance et atteindre les objectifs écologiques fixés par les gouvernements.