Article rédigé pas Esther Degnide

Caractérisé́ par son perfectionnisme, son exclusivité́ et sa discrétion, le luxe fait rêver depuis la nuit des temps. Jonglant entre tradition et modernité́, il affiche une réputation d’excellence à travers le monde. Dans cet univers, les Maisons françaises telles que Louis Vuitton, Hermès ou encore Chanel dominent incontestablement le marché avec plus d’un quart des ventes du top 100 mondial. Cette industrie occupe dans l’économie mondiale une place cruciale. Porté par une moyennisation de la société, le secteur du luxe tend à se renouveler à travers l’avènement de nouveaux marchés et consommateurs aux exigences grandissantes : la génération des Millennials. Plusieurs enjeux se dessinent pour cette industrie : l’évolution démographique de la clientèle, l’émergence d’une quête de consommation plus éthique et responsable ainsi que l’accélération du digital.

Comment les Maisons de luxe tentent-elles de renouveler leurs stratégies de vente afin de répondre au mieux aux attentes de la génération du Millénaire ? Quelles sont les profondes mutations auxquelles doit faire face l’industrie du luxe ?

Revisité et modernisé, « le luxe qui était l’ordinaire des gens exceptionnels devient l’exceptionnel des gens ordinaires ». Cette industrie a su se démocratiser tout en conservant son prestige, son esthétisme et son raffinement. Autrefois réservée à une clientèle très élitiste, elle attire aujourd’hui de nouveaux clients, issus de la génération du millénaire. Plus communément appelés « Millennials », ces individus nés entre 1980 et 2000 sont caractérisés par leur hyper connectivité́. Le secteur du luxe est donc confronté à un double défi : satisfaire la base historique traditionnelle et ancienne et la génération versatile des Millennials au pouvoir d’achat de plus en plus important. Selon une étude menée par le cabinet Bain & Co, ils représentent près de 47% de la consommation mondiale dans le luxe en 2018. On estime même que cette génération pourrait dépasser près de 55% des acheteurs mondiaux de cette industrie. Il s’agit aujourd’hui du plus grand groupe de consommateurs au monde, s’illustrant ainsi comme une cohorte très puissante pour l’économie et plus précisément pour le secteur du luxe. Ce constat est d’autant plus poussé en Chine, berceau de la consommation des produits de luxe français. Selon Eric Briones, le planneur stratégique de Publicis e-brand, « 80 % de la croissance du luxe vient des 23-38 ans et l’âge moyen des consommateurs de luxe en Chine est 25 ans. Et comme les Z (12-18 ans) seront encore plus nombreux que les Millennials, l’influence de la jeunesse ne fait que commencer. » Capter et engager les Millennials requiert pour les Maisons de luxe d’embrasser une démarche « customer-centric » afin de placer le client au cœur des objectifs stratégiques de l’entreprise. Pour ce faire, certaines marques ont choisi d’inviter ces jeunes à participer activement au développement de collections afin de mieux recueillir leurs attentes et leurs volontés. Marco Bizzarri, CEO de Gucci a mis en place un « Shadow Committee » composé de personnes de moins de 30 ans et issues de différentes fonctions. Grâce à cette approche inclusive, l’emblématique marque du groupe Kering créée au siècle dernier, considère les Y comme des partenaires. Grâce à cette démarche, on a pu observer une forte augmentation des ventes de la marque en 2018. Les clients du luxe deviennent alors les co-acteurs des expériences qui leur sont offertes.

Nonobstant, cette industrie peine à conquérir les jeunes générations alors qu’elles représentent un des leviers principaux du marché. La génération du millénaire est « attirée par la valeur intrinsèque des produits de luxe : leur qualité. […] Mais de nouvelles valeurs prennent le dessus […].» « Pour attirer ces nouveaux consommateurs, les marques de luxe devront prendre en compte leur attrait pour des produits respectant les valeurs de développement durable. » soulignait Jean-Marc. Liduena, Senior Partner chez Deloitte.

Une industrie aux antipodes des problématiques environnementales

« Si l’on prend en compte l’intégralité du secteur de la mode, allant du luxe à la fast fashion, on est en train de saigner la planète » dénonçait la styliste anglaise Stella McCartney en 2018. Biodiversité et environnement sont les maîtres mots de sa Maison éponyme. Partenaire du groupe LVMH, la marque milite pour une mode plus responsable et éco-friendly à travers tous les aspects de la création. Grâce à l’innovation, elle s’engage à utiliser des matériaux en grande partie biologique et/ou en polyester recyclé, dont l’impact sur la planète est moindre. Toutefois, même si Stella McCartney fait figure de bon élève, les diverses stratégies adoptées par les marques pour diminuer leur empreinte environnementale demeurent minimes. En effet, l’industrie du luxe est considérée comme l’une des plus polluantes du monde. Souvent accusé de non-respect des questions environnementales, les critiques sont nombreuses : surexploitation de ressources non renouvelables, utilisation de fourrures animales ou encore usage excessif de produits chimiques. D’après l’étude Les zOOms de l’Observatoire Cetelem, seul un tiers des Français considère que le secteur du luxe est engagé dans une démarche de développement durable. Or, les exigences des consommateurs quant au respect de la biodiversité sont de plus en plus fortes, notamment sous l’impulsion de la génération des Millennials. Selon l’étude d’Ipsos réalisée en 2019, plus de 60% des Millennials considèrent qu’une marque de luxe doit avoir des engagements éthiques et environnementales. Le concept de « luxe responsable » prend donc tout son sens dans une société où les clients ont des interrogations grandissantes quant aux engagements des marques. Ainsi, Balmain s’est engagé à suivre le mouvement de « sauvegarde de la planète » en développant des collections plus éthiques :  créations de haute couture sans fourrure animale ou encore produits dits cruetly-free c’est-à-dire non testés sur les animaux.  Même si on note que les Maisons s’engagent progressivement dans une refonte de leur modèle historique, d’importants efforts sont encore nécessaires afin de répondre aux évolutions sociétales. Même si l’environnement se présente comme un réel axe de communication pour les marques, qui doivent prendre conscience de la fragilité de la planète, elles doivent également mettre en place des stratégies visant à soutenir l’inclusion sociale et la diversité. Il va sans dire que plusieurs marques de luxe ont déjà essuyé des bad buzz : des collections et campagnes jugées racistes, un manque de diversité concernant le physique ou l’ethnicité des mannequins lors des défilés ou encore l’absence de représentation du mouvement LGBTQIA+. En décembre 2018, Prada a été accusé de racisme après avoir commercialisé des porte-clés représentant une figurine noire aux lèvres rouges disproportionnées, s’assimilant à un « blackface ». En réponse à cette polémique, la marque italienne a créé un Conseil de la diversité et de l’inclusion afin de « guider ses efforts en matière de diversité, d’inclusion et de culture ». Ce conseil est d’ailleurs présidé par Ava Duvernay, première femme afro-américaine nommée aux Golden Globe du meilleur réalisateur en 2015. Dans cette même logique, le numéro un mondial du luxe LVMH, s’illustre comme un pionnier de la discrimination au travail à l’égard des personnes LGBTQIA+. Le groupe français de Bernard Arnault a développé un programme mondial de formation et de sensibilisation à l’inclusion, déployé à l’ensemble des employés occupant des postes à responsabilité.

Des Maisons de luxe encore réfractaires à l’utilisation de nouvelles technologies et à l’activation des médias sociaux

Jean-Marc Liduena souligne que « La convergence “phygitale“ impose aux acteurs de réinventer l’expérience magasin grâce au digital, au risque sinon de perdre leurs clients, notamment les Millennials et la Génération Z qui pèseront en 2025 environ 40% des ventes de luxe, contre 30% aujourd’hui. » Les changements de comportement des consommateurs et l’arrivée des nouveaux acteurs du Web poussent le luxe à devenir une référence en matière d’ergonomie digitale et de présence sur Internet à travers ses sites marchands. Même s’il tend à conserver son exclusivité à travers un marketing hors médias traditionnels, ce secteur doit affirmer sa visibilité sur les réseaux sociaux, outil préféré des jeunes générations. Utilisées à bon escient, ces plateformes permettent de faire vivre et de retransmettre l’histoire de la marque avec un Smartphone. En juin 2020, Gucci lançait sur Snapchat, le réseau social aux 20,65 millions d’utilisateurs, une campagne « Try-on » afin de permettre aux individus d’essayer certains modèles emblématiques de la marque grâce à la réalité augmentée. Parallèlement aux réseaux sociaux, le e-commerce représente une réelle opportunité pour les Maisons de luxe. On estime que d’ici 2025, le web représenterait près de 25% des ventes. Ce constat est d’autant plus vrai dans un contexte de confinement mondial et de fermeture des boutiques physiques. L’utilisation grandissante de l’intelligence artificielle et des big data aident les entreprises du luxe à remodeler leurs techniques d’engagement du client grâce à des analyses de données plus pointues. Afin d’établir une relation personnelle et adéquate avec sa clientèle, il est impératif pour les marques de réaliser d’importants investissements dans les outils digitaux afin d’entretenir la fidélité avec ses consommateurs.

Le défi de l’industrie du luxe est de comprendre au mieux cette jeunesse surinformée et ultra connectée, qu’elle ne côtoie pas mais qu’elle désire s’approprier. Les Maisons doivent donc concilier deux exigences à savoir une innovation perpétuelle de leurs collections pour répondre aux désirs des consommateurs élitistes tout en adoptant un comportement plus responsable vis-à-vis de la planète. L’inclusion sociale, le respect des problématiques environnementales et la diversité sont au cœur de la stratégie des Maisons de luxe. Pour parvenir à leurs fins, elles développent des approches omnicanales afin d’augmenter le plaisir de leur clientèle et les surprendre.

Source : Les zOOms de l’Observatoire Cetelem, Abington Advisory, Fashion Network, Carnet du Luxe