Article rédigé par Gabin Guilpain

Quand l’économie se vide de son sang

Partie 1 : la fin du pétrole

Le changement climatique et la responsabilité des activités humaines dans la hausse des températures du globe fait aujourd’hui consensus, et le climatoscepticisme n’est plus un frein significatif à la résolution du problème. La notion de frontière à ne pas dépasser (matérialisée par les fameux 2°C de la COP et qui sont dans toutes les têtes), pourtant contraire à nos pulsions bien humaines, est à présent raisonnablement bien ancrée dans les esprits. Il reste cependant une notion encore plus désagréable à intégrer, celle-ci plus implacable encore et indépendante de notre volonté : le concept de limite.

Arrêtons-nous un peu sur le pétrole. Le pétrole est la première source d’énergie au monde et en Europe. Le pétrole est une énergie fossile, c’est à dire que sa formation résulte de la transformation de matière organique sur un processus de plusieurs millions d’années. On peut donc considérer que le stock que Mère Nature nous a fourni nous est donné une fois pour toute, c’est un stock fini. De cet état de fait et de l’élégance des mathématiques découle un résultat simple : on ne peut pas avoir une consommation indéfiniment croissante — et même constante — en provenance de ce stock. Apparaît alors une entité inéluctable, qui s’appelle le pic pétrolier. Une fois passée ce pic, la production de pétrole ne peut que décliner jusqu’à devenir nulle. La question n’est pas de savoir si ce pic arrivera, elle est de savoir quand il
arrivera.

Et il se pourrait bien que ce pic advienne bien plus tôt qu’on ne le pense au premier regard, voire qu’il soit déjà passé pour certaines sources. En effet le World Energy Outlook 2018 indique que le monde a passé son pic de production de pétrole conventionnel (c’est à dire hors pétrole de schiste et sables bitumineux) en 2008. Le 11 février 2021, Shell, deuxième plus grand groupe pétrolier en terme de chiffre d’affaires, annonce qu’il a passé son pic et qu’il entame une baisse de la production de 1% à 2% par an. Idem pour un autre major, BP.

 

Source : Wikipédia

Il n’aura échappé à personne que, pour extraire du pétrole du sous-sol, il faut d’abord le découvrir. On peut donc approximativement déduire le pic de production du pic de découvertes : on découvre, on exploite à un certain rythme, on épuise. Un précédent historique nous permet de vérifier cela. Au États-Unis, la production a suivi, avec un décalage à peu près constant (35 ans environ), la courbe des découvertes. Cette correspondance, remarquée par King Hubbert, un géologue de Shell, lui a permis de prédire en 1959 le pic de production des USA avec 11 ans d’avance.

Élevons-nous maintenant un peu et regardons à l’échelle mondiale : le pic de découvertes de pétrole conventionnel est passé en 1964. En tenant compte des pronostics de découvertes futures et des réévaluations (qui correspondent à une  exploitation plus efficace des puits), il advient bien un pic pétrolier entre 2000 et 2010, cohérent avec les estimations a posteriori du World Energy Outlook 2018 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Source : Yves Mathieu, institut Français du Pétrole, 2009

 

 

Force est de constater que les prévisions d’Yves Mathieu étaient correctes.

 

 

 

 

 

Ce 19 mars 2021, l’entreprise Pemex annonce la découverte d’un « important gisement de pétrole » dans le sud du Mexique. Ce gisement si important contiendrait entre 500 et 600 millions de barils, ce qui correspond à cinq à six jours de consommation mondiale. Si l’exploitation de ce gisement produit 500 000 barils par jour, celui-ci sera épuisé dans 3 à 4 ans. La compagnie pétrolière nationale mexicaine subi malgré tout un important déclin de sa production, passant de 3,4Mb/j en 2004 à 1,6Mb/j aujourd’hui. On comprendra aisément que les quelques sursauts ponctuels — et qui sont loin des découvertes endémiques des années 1960 — ne suffisent pas à rompre cette tendance à la baisse.

On pourrait objecter que si l’on trouve moins, c’est qu’on cherche moins ! Malheureusement, ce n’est pas ce que montre les données d’investissement en forage pétrolier. En effet, sur 10 ans, les investissements en capital (CAPEX) des principales compagnies pétrolières (les majors, cotées en bourse), c’est à dire les investissements d’exploration sont en hausse, mais la production n’augmente pas pour autant, elle diminue inlassablement.

Source : Bloomberg

Pour ajouter encore à l’intensification de la carence fossile ces prochaines années, les rendements énergétique sont en baisse. Pour produire du pétrole, il faut … de l’énergie. C’est à dire que lorsque que l’on prélève de l’énergie dans l’environnement, on ne peut pas tout utiliser pour alimenter la machine productive mondiale et créer des richesses. On doit réinvestir une partie de l’énergie que l’on extrait dans la filière même d’extraction de l’énergie (il faut alimenter les foreuses, les pompes, les pipelines, les pétroliers, les raffineries, etc.). La question qui se pose alors, est « quel est mon retour sur investissement énergétique, combien d’énergie dois-je réinvestir ? ». L’indicateur qui mesure cela est le Taux de retour énergétique, ou TRE (EROI en anglais). Il s’agit ici d’un indicateur physique, qui ne dépend pas du prix du baril. Que le baril s’échange sur les marchés à 30$ ou à 100$, le TRE, la quantité
d’énergie nécessaire à son exploitation, ne varie pas. Le TRE n’est pas fonction du prix. Or ce TRE va nécessairement diminuer avec le temps : plus le pétrole est enfoui profond sous terre, plus l’investissement énergétique est important et moins il reste d’énergie pour faire tourner le reste de l’économie.

Le progrès technique peut-il compenser cette diminution du TRE ? Une fois de plus, la réponse n’est pas très agréable à entendre. La quantité d’énergie nécessaire pour puiser du pétrole situer en profondeur est invariable. Elle se définit notamment pas la constante gravitationnelle de la Terre, la profondeur, le volume, la densité du pétrole. L’efficacité des machines d’extraction n’entre dans l’équation que pour une part, qui ne compensera pas la baisse du rendement. De plus, toujours selon les lois de la physique et de la thermodynamique, il est impossible d’avoir une machine avec un rendement de 100%, sans perte d’énergie. Pour donner une idée, le moteur d’une voiture à essence a aujourd’hui un rendement de 30% : seuls 30% de l’énergie injecter dans le moteur (essence) se retrouve dans le mouvement de la voiture, les 70% restants étant perdus sous forme de chaleur. Il ne faut donc pas parier sur un progrès technique fulgurant pour résoudre le problème.

Une seconde fois, la question se pose du temps qu’il nous reste avant que les TRE ne deviennent trop faible. Il semble qu’une fois de plus, nous n’ayons que peu de marge. Calculer un TRE est complexe, mais les scientifiques ont abouti à un certain consensus pour produire ce graphique :

Source : Gagnon, N., Hall, C., Brinker, L., 2009. A prelimary investigation of the energy return on energy investment for global oil and gas production.

Le rendement énergétique de la filière diminue donc malgré le progrès technique. Au début du XXème siècle, ou il suffisait de creuser quelques mètres au fin fond du Texas pour exploiter un gisement, on récupérait 100 barils pour un baril investi. Avant les années 2000, pour un baril utilisé dans la filière, 30 étaient extraits. En 2009 ce ratio avait presque encore diminué de moitié pour atteindre 1 pour 18.

La profondeur des puits, comme on l’a vu, n’est pas le seul facteur qui fait varier le TRE. La nature du pétrole que l’on extrait joue aussi beaucoup. Certains pétroles, dit « non-conventionnels », sont plus difficiles à extraire par nature.

Les TRE des pétroles non-conventionnels (c’est à dire le pétrole de schiste et les sables bitumineux) sont beaucoup plus bas que celui du pétrole conventionnels. Cependant, devant la raréfaction du pétrole conventionnel, les compagnies se tournent de plus en plus vers les sources non-conventionnelles :

Source : postcarbon.org ; Heu?reka

À noter que tous les pétroles ne se valent pas, on ne peut substituer une nature de pétrole à une autre pour faire tourner une machine donnée. Le pétrole de schiste, trop léger, ne permet pas d’obtenir certains produits très recherchés comme le kérosène des avions, le gasoil des voitures, le fioul domestique des chaudières ou le fioul lourd des cargos.

Toutes ses observations concordent avec le dernier exposé de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui énonce que la conjonction d’une croissance économique soutenue et de la lutte contre le réchauffement climatique est largement improbable. Si d’une part le bon sens et le souci des jeunes d’aujourd’hui et de demain doivent orienter l’arbitrage à la faveur du climat, la finitude des ressources naturelles (pétrole comme gaz, charbon, métaux, etc.) se chargera de stopper douloureusement notre folie des grandeurs de toutes façons.

La carence en pétrole n’est par ailleurs pas complètement inconnue par les politiques qui s’intéressent un tant soit peu à la question. La sortie de l’ancien ministre du pétrole de l’Arabie Saoudite, Ahmed Yamani, nous servira de conclusion :

« L’âge de pierre n’a pas pris fin à cause d’un manque de pierre, tout comme l’âge de pétrole ne prendra pas fin à cause d’un manque de pétrole. Si ce n’est pas la limitation des émissions de CO2 ou le pic pétrolier qui nous impose la réduction de l’utilisation du pétrole comme source d’énergie primaire, ce pourrait bien être un trop faible taux de retour énergétique »

Une seconde partie développée dans un futur article nous permettra de réfléchir à la manière dont les économistes traitent — ou non — ces données, et quelles conséquences réelles peut engendrer une pauvreté énergétique dans un monde sous perfusion pétrolière.